12/01/2016
Pr. PARFAIT ELOUNDOU ENYEGUE
INTERVIEW
« Le dividende démographique est un moyen pour atteindre l’émergence »
La planète est à la veille d’une vaste transition démographique. Selon le rapport annuel du Fonds des Nations Unies pour la Population (Unfpa), publié en novembre 2014, cette transition à venir concerne essentiellement l’Afrique. Ce continent connaît désormais une baisse de sa natalité. L’Unfpa estime que cette transition démographique est potentiellement une chance unique, à condition de réaliser les investissements nécessaires, notamment dans l’éducation et la contraception. Cela apporte une croissance économique que les experts appellent : « dividende démographique », définit comme un coup de pouce que le changement dans la structure d’âge d’une population peut apporter au développement économique de ce pays. Les pays africains se trouvent à des stades différents du processus. La majorité se trouve encore tout au début du processus, où il s’agit d’initier ou d’accélérer la baisse de fécondité. D’autres sont plus avancés. Pour eux, le défi actuel est de transformer la baisse des taux de dépendance en une augmentation de l’épargne et l’investissement. Comment les individus mais aussi les Etats africains à l’occurrence le Cameroun peuvent-ils tirer le meilleur parti de cette « opportunité » ? Les clés du Pr. Parfait Eloundou Enyegue, Chef de département d’Etudes en développement à Cornell University aux Etats-Unis. En séjour dans son pays, cet expert en développement était l’invité du réseau des Journalistes camerounais pour l’application du Plan d’Action de Maputo (Jnmap, en Anglais). Laquelle association faisait rentrée le vendredi 8 janvier 2016 sous le thème « Redynamisation ».
C’est quoi le dividende démographique ?
C’est le coup de pouce au développement que l’on peut obtenir lorsqu’un pays amorce une baisse de fécondité et que la charge que les adultes supportent commence à décliner. Que ce soit la charge au niveau des personnes âgées ou alors les jeunes enfants à supporter. De façon classique, lorsque vous regardez la structure par âge d’une population, vous avez trois grands groupes : les tout jeunes qui sont les dépendants ; les personnes âgées, par exemple 65 ans et plus qui sont aussi les dépendants ; les gens au milieu, c’est-à-dire les 15 à 64 ans, la partie active de la population qui doit s’occuper à la fois des plus jeunes et des plus âgés. Donc, une bonne partie des possibilités du décollage économique, d’épargne ou d’investissement, dépend du rapport qu’il y a entre le nombre de personnes que vous avez dans la tranche active, et la proportion des personnes que vous avez dans la population dépendante. Cette proportion varie dans le temps et beaucoup de pays africains sont dans une situation où cette proportion, cette charge va commencer à baisser. Le moment est propice pour que nous puissions essayer de tirer parti de ce moment historique et accélérer le processus de développement africain.
On vous a entendu dire qu’il s’agit là d’une opportunité. En quoi le dividende démographique est une opportunité pour les Etats africains et précisément le Cameroun ?
Le dividende démographique est une opportunité, c’est un moyen pour l’émergence, parce que cela vous permet à ressources égales, d’avoir moins de charges incompressibles à maintenir les personnes dépendantes. Vous avez donc un peu plus de marges d’épargner les ressources que vous avez ou de faire des investissements productifs. Ça c’est au niveau des individus mais c’est aussi vrai au niveau de l’Etat. Si on prend un scénario, par exemple un jeune cadre qui a 35 ans. En moyenne ce cadre aura quatre (4) ou cinq enfants personnel et vous avez encore des dépendants que vous allez entretenir. Donc cela fait beaucoup en une seule fois. Si en plus, vous avez la chance d’avoir des parents qui ont survécu, ça fait une autre charge. Donc, l’essentiel de votre budget va être consacré à assurer l’éducation des enfants, leur entretien, etc. et assurer la santé des parents qui sont âgés. Donc, il ne vous reste pas vraiment grand-chose pour faire des investissements productifs. Ce qui se passe avec les pays africains est que d’un côté, nous n’avons pas encore malheureusement une espérance de vie assez allongée, nous avons une forte fécondité. Il y a donc trois phases : la fécondité commence à se contracter, ça baisse un peu, donc ce côté de la charge devient un peu petit ; et l’espérance de vie n’a pas encore fortement augmentée. Donc, il va se trouver un moment où on aura relativement peu de dépendant à supporter. C’est donc pendant cette phase que l’on parle d’opportunité. Si vous attendez longtemps, vous allez avoir un bénéfice relatif, nous allons une espérance de vie qui va s’allonger donc des parents qui vont vivre de plus en plus longtemps. Mais ce que cela veut aussi c’est que nous allons nous occuper de ces parents plus longtemps. Donc première phase, beaucoup d’enfants ; deuxième phase, peu d’enfants et peu de personnes âgées à prendre en charge et troisième phase, peu d’enfants et beaucoup de personnes âgées à prendre en charge pendant un temps plus long. Donc aussi bien la phase 1 que la phase 3, sont assez difficile sur le plan budgétaire. C’est la phase intermédiaire là, du milieu qui est la plus souple et la plus légère. C’est justement dans cette phase que nous sommes entrain de nous acheminer.
Comment est-ce que le Cameroun peut concrètement en tirer parti ?
Il y a plusieurs actions à prendre en compte. La première consiste à s’assurer que les personnes qui sont dans la phase active travaillent. Parce qu’être dans cette phase ne veut pas dire qu’on est forcément à mesure de supporter une famille donc il faut créer des emplois. Il faut assurer une transition saine vers l’âge adulte. Cela veut dire non seulement on génère de l’emploi mais aussi préparer les jeunes qui sortent de l’école à assumer des rôles dans la société civile, l’engagement politique, à s’occuper des familles, à devenir des parents responsables, etc. Il y a aussi au niveau de la fécondité même, un phénomène que l’on constate c’est que dans beaucoup de pays, quand la fécondité est élevée ou qu’elle commence à baisser ; elle commence à baisser surtout chez les gens qui ont les moyens. C’est aussi un problème. Les personnes les plus pauvres actuellement au Cameroun comme dans la quasi-totalité des pays africains sont aussi celles qui ont le plus d’enfants. Et c’est un déséquilibre fondamentalement important et qui est source d’inégalités économiques qui sont préjudiciables au décollage de l’économie.
Réalisée par
Nadège Christelle BOWA
16:44 Publié dans Enquêtes et reportages | Lien permanent | Commentaires (0)
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