10/11/2017

ANÉMIE CHEZ LES ENFANTS AU CAMEROUN

Santé publique

7 nourrissons sur 10 souffrent de carence en fer

Au regard des dégâts importants que pourraient causer cette absence sur les plans cognitif et physique de l’enfant, voire l’économie du pays, une étude clinique évalue l’efficacité d’une céréale enrichie en fer pour lutter contre l’anémie dû à la carence en fer.

 

Dans le monde, la carence en fer constitue le trouble le plus répandu. Selon l’Oms, plus de 2 milliards de personnes souffrent de carence en micronutriments. Et celles-ci sont provoquées pour la plupart par un défaut d’apport alimentaire de vitamines et de minéraux. Au Cameroun, trois enfants sur cinq souffrent d’anémie principalement en raison d’une carence en fer. C’est ce que confirme une étude réalisée par une équipe de chercheurs conduite par le Prof Tetanye Ekoe, doyen honoraire de la Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales à l’Université de Yaoundé I sur : « L’anémie et état nutritionnel des enfants de moins de 5 ans au Cameroun », financée par la Fondation Nestlé. L’étude réalisée entre février et août 2017, montre que la malnutrition et l’anémie chronique des enfants de 0-5 ans est un problème majeur de santé publique dans notre pays.

En clair, les enfants camerounais de moins de 5 ans sont pour la plupart mal nourris. L’étude a concerné un échantillon de 1800 enfants soit entre 350 et 390 dans chaque localité sélectionnée en respectant entre autres critères leur représentation des zones écologiques du Cameroun. Il s’agit de Tokombéré (Extrême-Nord); Salapoumbé (Est) ; Nkoteng (Centre); Bafou (Ouest) et Mouanko (Littoral). Les résultats dans la localité de Tokombéré relève un taux de retard de croissance de l’ordre de 42,7% tandis que la malnutrition affecte près de 22 enfants sur 100. A Salapoumbé dans la région de l’Est-Cameroun, ces taux sont respectivement de 65,3% et 24,3%. En raison du taux d’anémie ferriprive estimé à 75,8%, cette dernière va d’ailleurs servir de théâtre à un essai clinique pour évaluer l’efficacité d’une céréale enrichie en fer pour lutter contre l’anémie dû à la carence en fer.

Éducation nutritionnelle

« Nous avons été effroyablement surpris », relève Pr. Tetanye, investigateur principal qui avoue avoir été davantage choqué par les scores de l’Ouest et Littoral. D’autant plus que le premier est présenté comme étant le grenier du pays. L’étude clinique suscitée a porté sur un échantillon de 205 enfants âgés de 18 à 59 mois repartis en deux groupes. Pendant six mois, ils ont reçu la même quantité de farine de blé, en supplément de leur régime alimentaire habituel. Cependant, l’un des deux groupes recevait une farine enrichie en fer. Les chercheurs ont constaté que 100g de farine fortifié à 7,5mg de fer administré quotidiennement pendant six mois permet de corriger et prévenir l’anémie ferriprive chez 54% des enfants. Ce taux est seulement de 11% dans l’autre groupe.

Les déficiences en micronutriments affectent de manière disproportionnée les nourrissons, les jeunes enfants et les femmes, ce qui les empêche de réaliser leur plein potentiel dans la vie. L’anémie joue un rôle dans 20 % des décès maternels. Parmi d'autres conséquences on relève: une perturbation du développement physique et cognitif, une hausse du risque de morbidité chez l’enfant et une baisse de la productivité au travail chez l’adulte. Le Cameroun dispose d’un cadre réglementaire pour la fortification alimentaire qui rend obligatoire la fortification de certains aliments en micronutriments tels que, le sel doit être fortifié en iode ; Les farines en vitamine B12, fer, zinc, acide folique ; Les huiles végétales en vitamine A. Force est de constater à travers ces résultats qu’il y a encore du chemin à faire.

Aussi, l’étude propose de renforcer le programme d’éducation nutritionnelle des populations par la promotion de l’allaitement maternel exclusif et des bonnes pratiques de diversification de l’alimentation du nourrisson ; de promouvoir l’enrichissement des aliments locaux du nourrisson avec des oligo-éléments en particulier en fer. Concrètement, renseigne Valerie Ngo Mbeng, Category Development Manager à Nestlé Cameroun, un enfant mis sous ce régime en six mois triple son poids ; multiplie par 1,5 sa taille de naissance. L’expert rappelle que les 5 premières années sont déterminantes pour le développement du cerveau d’un enfant. Dans ces conditions, que l’Unicef dénomme « fenêtre d’opportunité des 1000 jours », l’enfant, a besoin de 5 fois plus de fer que l’adulte.

Nadège Christelle BOWA

 

Interview

Pr. Tetanye Ekoe

Pr Tetanye.jpg« C’est la responsabilité du gouvernement de renforcer l’alimentation des enfants »

 

Doyen de la Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales à l’Université de Yaoundé I et chercheur principal d’une étude l’état nutritionnel des nourrissons camerounais, le pédiatre explique la faisabilité de ses recommandations.

 

Quels sont les facteurs qui contribuent à la prévalence élevée de l’anémie telle que relevé par votre étude.

La première chose qu’il faut reconnaître c’est que le paludisme a une grande part dans cette anémie. Mais c qui est absolument nette c’est l’aliment de l’enfant est pauvre en fer. Et il est probable que l’enfant ne trouve pas les besoins nutritionnels en fer dans l’alimentation qu’il trouve dans la famille. Donc il y a là un problème qui interpelle évidemment le gouvernement ou le ministère de la Santé qui fait déjà beaucoup de choses. Mais il y a très probablement quelque chose qu’il faut renforcer en termes d’éducation des parents. Il est très probable que les parents n’insistent pas sur le recours aux aliments riches en fer (les légumes et un certain nombre de céréales). Et il y’en a beaucoup dans notre pays. Je crois que ce serait bien que les programmes de santé ailleurs vraiment sur le terrain ; que les personnels de santé prennent soin d’aller vraiment éduquer les parents sur l’usage de leurs aliments surtout ceux qui sont riches. Je crois qu’il faudrait faire un effort supplémentaire pour que lorsque dans les zones très défavorisées comme nous l’avons dans l’Extrême-Nord et dans la forêt humide (Est-Cameroun), le gouvernement puisse assister et fournir à ces familles, une espèce de paquet qui assure un minimum de besoin nutritionnel en terme de protéine, de fer et de céréale.

Comment s’est déroulée cette étude ?

C’est une étude compliquée qui a durée six mois. Nous avons été sur le terrain avec mes étudiants qui ont fait dans chacune des zones écologiques, une thèse de doctorat en médecine, je dirais contextualisé. Nous avons interrogé les parents, examiné les enfants à qui nous avons pris le poids, la taille, le périmètre brachial et nous avons fait des prélèvements de sang- de très petites quantités- mais qui nous ont permis de mesurer le taux d’hémoglobine et les indicateurs du fer dans l’organisme. C’est une étude qui va faire d’ailleurs l’objet d’un rapport remis au ministre de la Santé publique et à celui de la Recherche scientifique et de l’innovation, et qui devrait compléter des études antérieures centrées sur les villes. Nous avons ciblé les zones rurales, par conséquent, compte tenu du fait que les zones rurales représentent 70% de la population, ça devrait changer l’approche en termes de santé publique.

Peut-on adapter le fer à tout type de céréale en fonction de la disponibilité de l’aliment dans une région ou zone écologique ?

Absolument et c’est un défi pour le gouvernement. Il y a des zones dans lesquelles la céréale c’est le sorgho ou le mil ou le maïs. Il y a des zones où c’est autres chose. Il est même d’ailleurs possible d’imaginer que le manioc qui est utilisé dans d’autres zones puisse être renforcé. C’est la responsabilité du gouvernement de rechercher le partenariat avec des organismes technologiquement outillés pour permettre de faire en sorte que les céréales, les féculents soient utilisés pour renforcer l’alimentation des enfants de moins de cinq ans. On ne peut pas imaginer que les enfants de moins de 5 ans deviennent des adultes performants demain, avec un état nutritionnel aussi précaire, avec des taux d’anémie aussi préoccupant.

Propos recueillis par

Nadège Christelle BOWA

Source Le Messager N°4950 du vendredi 10 novembre 2017

14/05/2017

« LA SAGE-FEMME EST UN GRAND CARREFOUR DE PÉDIATRIE »

ENTRETIEN AVEC ANNIE HORTENSE ATCHOUMI

On ne peut pas se passer des Sages-femmes si on veut réduire la mortalité maternelle

Contribuer à donner la vie ! C’est l’un des plus beaux métiers au monde. Bien que très importante, la profession qui au demeurant comporte de multiples facettes est encore trop méconnue du grand public. Depuis une quinzaine d’années, une journée internationale leur est dédiée. Célébrée tous les 5 mai, c’est une occasion de découvrir ce métier de « donneuse de vie ». En ouvrant ses colonnes à la présidente nationale de l’Association des sages femmes et assimilées du Cameroun (Asfac) et en Afrique Centrale, une association créée en 2008 pour valoriser la profession et renforcer les capacités de ces membres pour une prise en charge adéquate des communautés, Le Messager à sa manière rend hommage aux femmes (et aux hommes !) qui le pratiquent et montre leur importance au sein de la société. Annie Hortense Atchoumi s’exprime sur les conditions d’exercice de cette profession dans le contexte camerounais où le besoin de cette compétence est criard.

NCB

 

Annie Hortense Atchoumi 

Annie Atchou_1890.jpg« La Sage-femme est un grand carrefour de pédiatrie »

 

Le Cameroun de concert avec la communauté internationale célèbre ce 5 mai, la journée internationale de la Sage-femme sous le thème : «Les sages-femmes, mères et familles: partenaires pour la vie!». Que suscitent en vous cette célébration et ce thème?

Cette journée permet aux sages-femmes de s’exprimer à leur façon chacun dans son pays. Et le thème choisi signifie que la vie ne s’arrête pas. Les naissances continuent toujours, les familles ne s’arrêteront pas. Les sages femmes contribueront toujours à donner des naissances. Il y aura toujours le suivi des femmes enceintes… Donc à notre avis, c’est un sujet vraiment actuel pour interpeller la sage femme dans son rôle qu’elle a d’ailleurs commencé depuis longtemps parce que la vie commence avec la naissance. Maintenant, elle a un grand rôle dans le suivi de la femme depuis son éducation à la vie, à la prise en charge de sa grossesse, jusqu’à l’accouchement et même après puisqu’il y a le planning familial.

Méconnue du grand public, la profession de Sage-femme comporte de multiples facettes. Pour permettre de les dévoiler, dites-nous quelles sont les compétences de la sage-femme ?

La sage-femme est un grand carrefour de pédiatrie. Elle agit sur le plan gynécologique, sur le plan néonatal, sur le plan obstétrical. Comme je l’ai dit, elle suit la femme depuis les consultations prénatales jusqu’à l’accouchement et même après. Et en plus de la femme dans sa grossesse, elle s’occupe des nouveaux nés (de la néonatalogie). En plus de cela, elle s’occupe aussi de l’accompagnement des familles. Elle suit les couples, elle prescrit et s’occupe de la communauté sur le plan conseil de vie familiale, conseil de conception, prévention de certains risques, etc. La femme a besoin aussi qu’on l’écoute. Mais aussi de savoir comment se rapprocher du prestataire en l’occurrence ici la sage-femme. En prélude à cette célébration, nous avons organisé du 27 au 29 avril des journées scientifiques à Bertoua. Nous saisissons cette occasion pour remercier les autorités de cette ville qui nous ont suivis. A savoir le délégué régional de la Santé, le gouverneur de la région… tout le staff était vraiment présent.

Puisque vous en parler. Quels étaient les objectifs de ces journées scientifiques ?

Il s’agissait de dire aux sages-femmes et même à la communauté que cette dernière est au cœur du métier de la sage femme. Et pour qu’une sage femme soit compétente, il faut qu’elle soit formée. D’où la raison d’être de ces journées scientifiques pour pouvoir s’exprimer sur ce plan à travers le thème : « La sage femme et la participation communautaire pour une maternité à moindre risque ». Pour dire que nous avons besoin de la communauté qui elle a besoin de soins. La communauté a besoin qu’on s’occupe d’elle, qu’on la comprenne. Et même qu’on se comprenne car il y a parfois un fossé entre la communauté et les prestataires. On ne sait pas ce que l’autre fait, l’autre a besoin de s’orienter. Chacun a besoin de l’autre, c’est une famille, c’est un bon mariage…pour qu’il y ait une bonne compréhension et une meilleure prise en charge.

A quel niveau peut-on vous situer dans le système de soins au Cameroun ?

On est un peu partout. Que ce soit dans les hôpitaux régionaux, de district ou centre médical d’arrondissement ou centre de santé intégré. Seulement, plus on est proche de la communauté, notre rôle est plus grand. Parce qu’à ce niveau, on a très peu de prestataires. Parfois, vous êtes seule à être au four et au moulin.

Quand vous déroulez les compétences de la sage-femme, on y voit un peu aussi celles des gynécologues beaucoup plus présents dans les formations sanitaires.  Quelle est la différence entre votre profession et la gynécologie si différence il y a?

Le gynécologue et la sage-femme, c’est une continuité, une complémentarité. Et au Cameroun, on n’a pas eu cette profession pendant longtemps et même ceux qui étaient formés dans le domaine de la sage-femme étaient peu nombreux pour dire, insignifiant en nombre. Par contre même s’ils ne sont pas nombreux, les gynécologues sont existants. De l’autre côté, la sage-femme n’a pas encore été véritablement intégrée sur le plan professionnel. D’où le fait que vous ne pouvez même pas la voir dans les formations sanitaires. Si oui, quelques unes. Mais en termes de ratio sage-femme/population, elle est presque invisible parce que sur le plan sécurité professionnelle, jusqu’à présent elle n’est pas encore visiblement intégrée dans la fonction publique. A cause de  l’absence de ce corps mais qui est un processus en cours. Mais comme je dis, les deux sont inséparables dans la mesure où il y a des actes obstétricaux que les gynécologues comme la sage femme posent ensemble à l’instar des accouchements. Mais, les sages-femmes ne feront pas les césariennes. Malgré que certaines s’y connaissent, ce n’est pas son rôle premier. La césarienne est plus pour le gynécologue. Mais où le gynécologue ne peut pas être au-dessus d’elle, c’est parce que la plupart des accouchements se font par voie basse. Sur 100 accouchements, 70 se feront par voie basse. Et ce n’est pas le gynécologue qui les fera. Donc, plus elle exerce, il y a l’expérience que le gynécologue ne peut pas avoir. Je me rappelle l’histoire de cette sage-femme qui faisait accoucher les femmes par voie basse alors que le gynécologue avait prescrit la césarienne. Parce qu’elle maîtrisait le bassin. Donc, si on veut réduire la mortalité maternelle, on ne peut pas se passer des Sages-femmes.

A ce propos, de nombreuses études vous désignent  vous « sage-femme » comme étant des acteurs essentiels dans la lutte contre la mortalité maternelle et infantile dans le monde et au Cameroun en particulier. Pourtant la sage-femme reste quasiment invisible dans les formations sanitaires. Quel est à votre avis le problème ?

Le problème principal dans notre contexte est qu’on a commencé la formation un peu sur le tard. Mais on peut se rattraper. Cela ne fait pas très longtemps que la formation de la Sage-femme a repris sur le terrain. Et ceux même qui exerçaient dans la compétence, ça fait environ 27 ans qu’ils ne sont plus formés. Vous voyez donc le fossé même de ces diplômés d’Etat Accoucheurs. D’un autre côté, quand la première promotion de ces sages-femmes sort, je crois que c’était au palais des Congrès à Yaoundé, en février 2015, on se rend compte qu’il n’y a pas de corps de sages-femmes à la Fonction publique. C’est pour cela qu’on n’a pas pu leur intituler un diplôme digne de sage-femme. Or quand les parents se peinent et vous-même aimez une profession que vous voulez exercer, à la fin vous avez des difficultés à être insérer, c’est une forme de démotivation. Pire encore dans un pays où on pense que la mortalité est élevée et on a besoin de prestataire. On se dit voilà, on avait besoin de prestataires, maintenant qu’ils sont disponibles, on ne peut pas les utiliser. On quitte de la quantité à la qualité qui va se détériorer. Sur le terrain, beaucoup vont abandonner. Quelques partenaires essaient de contractualiser certaines. Mais la question qu’on se pose est : jusqu’à quand ? Il faut bien commencer mais il faut que cela continue. Que va-t-il se passer si ces gens ne sont plus là ? Une profession aussi délicate. Pour sauver des vies et donner des vies, on a besoin d’un bon moral, d’une bonne sécurité professionnelle.

Justement, vous évoquez le cas des partenaires au développement et l’Unfpa qui en est dans une de ces recommandations au gouvernement, fait état de l’absence d’un corps des sages-femmes dans la fonction publique comme un des obstacles au recrutement de ces professionnels. Avez-vous d’autres suggestions pour pallier au déficit de sages-femmes dans les hôpitaux ?

A notre avis, le déficit est pour le moment. Comme on le disait, on est dans un processus de mise en place du corps. Ce ne sera pas tout de suite. Mais avant que cela ne se fasse, il faut bien que la sage-femme soit dans les formations sanitaires. Et comment ? L’une des solutions c’est justement cette fidélisation par les partenaires et cette contractualisation par le système. C’est-à-dire que les partenaires peuvent soutenir en recrutant un nombre selon leur limite financière pour les fidéliser sur le terrain et avoir un système de motivation. Peu importe le processus. Cela peut être entre le partenaire et le gouvernement ou directement avec la formation sanitaire… sinon elles vont perdre la main. En outre, si des gens travaillent et doivent encore se prendre totalement en charge, sans revenus, à un moment donné, on se transforme en autre chose sur le terrain et après les malades vont se plaindre. Mais parfois c’est parce que certaines dispositions ne sont pas prises et cela encourage ce qu’on ne souhaite pas.

Pour revenir à l’exercice même de la profession. Quelles sont vos principales difficultés dans la pratique de ce métier sous le ciel camerounais ?

Sur le terrain, il y a celles qui sont affectées dans des zones très reculées où il n’y a même pas de fréquentation, pas de matériel pour travailler. Pour un début dans une profession, c’est un problème. Supposons qu’en tant que personnel formé vous mettez le maximum pour amener les gens à l’hôpital et qu’il n’y ait pas de matériel, ce n’est pas vous seulement qui allez l’acheter. Je veux bien comprendre qu’on ait sa trousse. En outre, elles n’ont pas de salaires jusqu’aujourd’hui.

Réalisé par

Nadège Christelle BOWA

Sources: Le Messager N° 4822 du vendredi 12 mai 2017

10/05/2017

PRES DE 7 000 DÉCÈS MATERNELS ANNONCES EN 2017

CAMEROUN

 

C’est à ce décompte effroyable de morts liés à la grossesse et aux complications relatives à l’accouchement que le Cameroun s’achemine si rien fait dans notre pays. Le 5 Mai, journée internationale de la Sage-femme, rappelle l’importance de leur rôle pour l’amélioration de la santé maternelle dans le monde entier et principalement au Cameroun où, la profession peine.

 le partenariat de la vie.jpg1- Tendance morbide

Si dans certains pays, l’idée qu’une femme puisse mourir en donnant naissance est impensable, dans de nombreux autres, une femme qui survit à l’accouchement est une miraculée. En effet, le taux de mortalité maternelle mondial rappelle que mourir pendant l’accouchement est toujours un fléau qui touche des centaines de milliers de femmes à travers le monde. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (Oms), 830 femmes environ meurent chaque jour de causes évitables liées à la grossesse et à l’accouchement. Soit environ 340 000 par an. 99% de tous ces décès maternels surviennent dans des pays en développement où en moyenne, les femmes ont beaucoup plus de grossesses. Cette mortalité maternelle est plus élevée en milieu rural et dans les communautés les plus pauvres.

Au Cameroun, avec des taux de 782 pour 100 000 naissances vivantes en ce qui concerne la mortalité maternelle (Eds-Mics 2011) et de 28 pour 1000 naissances vivantes pour ce qui est de la mortalité néonatale (Mics 2014), le pays est encore très loin de la cible visée par les Objectifs de Développement Durable (Odd) adoptés en septembre 2015. Lesquels ont retenu parmi leurs cibles de faire passer le taux mondial de mortalité maternelle au-dessous de 70 pour 100 000 naissances vivantes en 2030 et le taux de mortalité néonatale à 12 pour 1 000 naissances vivantes au plus. De nombreuses études et enquêtes réalisées sur cette problématique relève comme principale cause de ces décès : un manque d’accès aux soins de santé qualifié, c'est-à-dire à des centres de santé techniquement équipés, dont le personnel médical est formé à la prise en charge des urgences obstétriques.

2- Des besoins non couverts en dépit du potentiel

De ce fait, « la plupart de ces décès pourraient être évités si les femmes enceintes avaient accès à un personnel de santé qualifié au moment où une complication survient », suggère  le Fonds des Nations Unies pour la population (Unfpa). Les sages-femmes bien formées ont été identifiées comme les instruments indispensables de la lutte contre la mortalité maternelle. « De plus, on estime que les investissements dans la formation des sages-femmes, avec un déploiement dans les services à base communautaire, pourraient rapporter 16 fois le montant investi en termes de vies sauvées et de coûts de césariennes évités », relève le rapport intitulé « Etat de la Pratique de sage-femme dans le monde 2014 : Sur la voie de l’universalité. Le droit des femmes à la santé», coordonné par le Fonds des Nations Unies pour la population, la Confédération internationale des sages-femmes et l’Organisation mondiale de la Santé au nom des représentants gouvernementaux et des parties prenantes de 73 pays et de 30 partenaires au développement mondial.

S’agissant précisément du Cameroun, l’Enquête dénommée Rapide d’Evaluation des Besoins en Soins Obstétricaux et Néonatals d’Urgence au Cameroun, menée en 2015 par le ministère de la Santé Publique, avait dénombré la présence de 394 sages-femmes dans les formations sanitaires de la 1ère à la 4ème catégorie dont 21 bénévoles alors que l’effectif nécessaire selon les normes établies par ledit ministère en 2011 est de 1146 pour couvrir les structures de santé éligibles. Cependant, si l’on considère la norme internationale de 6 sages-femmes pour 1000 accouchements, il en faudrait un peu plus de 5358 afin de prendre en charge de manière adéquate les 892 970 grossesses attendues en 2017. Sinon, l’on s’achemine vers une hécatombe. Soit environ 7 000 décès de femmes qui vont mourir en donnant la vie, si l’on considère la prévalence de 782 décès pour 100 000 naissances.

Afin de résorber la forte pénurie de personnels à compétence obstétricale observée dans nos formations sanitaires, le Gouvernement avec l’appui technique et financier de ses partenaires, a procédé à l’ouverture de 10 écoles de formation des sages-femmes. Ces dernières qui ont à ce jour une capacité de production totale annuelle de 250 diplômés ont déjà enregistré 665 lauréats. Mais, seulement 179 ont été recrutés et déployés sur le terrain depuis décembre 2015. L’on évoque pour justifier la faible capacité d’absorption de ces personnels, la non-finalisation du processus de leur recrutement et la non-mise en œuvre du plan pluri annuel de déploiement des sages-femmes élaboré par le ministère de la Santé Publique en 2015. Ce plan prévoyait entre autres le recrutement de 150 sages-femmes en 2016 et 2017. L’une des difficultés freinant ce processus étant l’inexistence du corps des sages-femmes dans la nomenclature des corps de métier de la fonction publique. Par ailleurs, les conditions de travail sont peu propices à la fidélisation de celles qui sont déjà sur le terrain. L’on note aussi, le déploiement de certaines d’entre elles dans des formations sanitaires peu actives. D’après les statistiques conjointes Minsanté/GIZ, 40% de celles qui sont encore en poste, travaillent dans des formations sanitaires où l’on pratique environ 3 accouchements par mois au risque d’une déperdition de leurs compétences.

3- Des solutions existent 

S’il est établi que le besoin en sages-femmes est bien réel au Cameroun, « l’Etat à lui tout seul ne pourra assurer le recrutement de l’effectif nécessaire pour pallier ce déficit malgré tous ses efforts », relève l’Unfpa qui suggère dans la foulée d’autres possibilités de recrutement et de rémunération. En somme, il est encore possible d’inverser cette tendance morbide, voire obtenir des changements nécessaires en matière de santé de la mère et de l’enfant et progresser vers l’atteinte des cibles des objectifs de développement durable. Il faudrait pour cela selon l’Unfpa, accroître le recrutement, le perfectionnement et le maintien en poste de ce personnel de santé.

Concrètement recommande cette agence des Nations Unies, les décideurs devraient : Mettre en place un environnement favorable au développement de ces professionnels comprenant notamment la création du corps des sages-femmes dans la fonction publique,  leur rétribution à un juste salaire, la mise en place de mesures incitatives pour la fidélisation de celle déjà recrutées, etc. ; mettre en œuvre le plan pluri annuel de déploiement des sages-femmes en vue d’accroître les besoins satisfaits en soins aux femmes enceintes et nouveau-nés en tenant compte de la plus-value des affectations en binômes ; encourager le recrutement de ce personnel par le secteur privé; mobiliser des ressources pour permettre et faciliter les interventions notamment trouver des financements innovants pour couvrir leurs salaires. À l’instar du Financement Basé sur la Performance qui va s’étendre aux régions du Septentrion, le financement par les communautés territoriales décentralisées, l’emploi par le secteur privé qui peuvent assurer le paiement de salaires et la stratégie du chèque santé qui s’accompagne de primes aux prestataires.

Et la Journée internationale de la Sage-femme qui se célèbre ce 5 mai 2017 sous le thème : «Les sages-femmes, mères et familles: partenaires pour la vie!», offre outre l’occasion de rendre hommage aux femmes (et aux hommes !) qui pratiquent ce métier mais relève davantage leur importance au sein de la société et l’urgence de la prise en compte effective de ces « acteurs essentiels » dans la lutte contre la mortalité  maternelle et infantile dans notre pays. Dans le monde entier, ces dernières savent qu'en travaillant en partenariat avec les femmes et leurs familles, elles peuvent les aider à prendre de meilleures décisions sur ce dont elles ont besoin pour connaître un accouchement épanouissant et sans risque.

Nadège Christelle BOWA

 Sources Le Messager du 4818 du vendredi 5 mai 2017