10/11/2017

ANÉMIE CHEZ LES ENFANTS AU CAMEROUN

Santé publique

7 nourrissons sur 10 souffrent de carence en fer

Au regard des dégâts importants que pourraient causer cette absence sur les plans cognitif et physique de l’enfant, voire l’économie du pays, une étude clinique évalue l’efficacité d’une céréale enrichie en fer pour lutter contre l’anémie dû à la carence en fer.

 

Dans le monde, la carence en fer constitue le trouble le plus répandu. Selon l’Oms, plus de 2 milliards de personnes souffrent de carence en micronutriments. Et celles-ci sont provoquées pour la plupart par un défaut d’apport alimentaire de vitamines et de minéraux. Au Cameroun, trois enfants sur cinq souffrent d’anémie principalement en raison d’une carence en fer. C’est ce que confirme une étude réalisée par une équipe de chercheurs conduite par le Prof Tetanye Ekoe, doyen honoraire de la Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales à l’Université de Yaoundé I sur : « L’anémie et état nutritionnel des enfants de moins de 5 ans au Cameroun », financée par la Fondation Nestlé. L’étude réalisée entre février et août 2017, montre que la malnutrition et l’anémie chronique des enfants de 0-5 ans est un problème majeur de santé publique dans notre pays.

En clair, les enfants camerounais de moins de 5 ans sont pour la plupart mal nourris. L’étude a concerné un échantillon de 1800 enfants soit entre 350 et 390 dans chaque localité sélectionnée en respectant entre autres critères leur représentation des zones écologiques du Cameroun. Il s’agit de Tokombéré (Extrême-Nord); Salapoumbé (Est) ; Nkoteng (Centre); Bafou (Ouest) et Mouanko (Littoral). Les résultats dans la localité de Tokombéré relève un taux de retard de croissance de l’ordre de 42,7% tandis que la malnutrition affecte près de 22 enfants sur 100. A Salapoumbé dans la région de l’Est-Cameroun, ces taux sont respectivement de 65,3% et 24,3%. En raison du taux d’anémie ferriprive estimé à 75,8%, cette dernière va d’ailleurs servir de théâtre à un essai clinique pour évaluer l’efficacité d’une céréale enrichie en fer pour lutter contre l’anémie dû à la carence en fer.

Éducation nutritionnelle

« Nous avons été effroyablement surpris », relève Pr. Tetanye, investigateur principal qui avoue avoir été davantage choqué par les scores de l’Ouest et Littoral. D’autant plus que le premier est présenté comme étant le grenier du pays. L’étude clinique suscitée a porté sur un échantillon de 205 enfants âgés de 18 à 59 mois repartis en deux groupes. Pendant six mois, ils ont reçu la même quantité de farine de blé, en supplément de leur régime alimentaire habituel. Cependant, l’un des deux groupes recevait une farine enrichie en fer. Les chercheurs ont constaté que 100g de farine fortifié à 7,5mg de fer administré quotidiennement pendant six mois permet de corriger et prévenir l’anémie ferriprive chez 54% des enfants. Ce taux est seulement de 11% dans l’autre groupe.

Les déficiences en micronutriments affectent de manière disproportionnée les nourrissons, les jeunes enfants et les femmes, ce qui les empêche de réaliser leur plein potentiel dans la vie. L’anémie joue un rôle dans 20 % des décès maternels. Parmi d'autres conséquences on relève: une perturbation du développement physique et cognitif, une hausse du risque de morbidité chez l’enfant et une baisse de la productivité au travail chez l’adulte. Le Cameroun dispose d’un cadre réglementaire pour la fortification alimentaire qui rend obligatoire la fortification de certains aliments en micronutriments tels que, le sel doit être fortifié en iode ; Les farines en vitamine B12, fer, zinc, acide folique ; Les huiles végétales en vitamine A. Force est de constater à travers ces résultats qu’il y a encore du chemin à faire.

Aussi, l’étude propose de renforcer le programme d’éducation nutritionnelle des populations par la promotion de l’allaitement maternel exclusif et des bonnes pratiques de diversification de l’alimentation du nourrisson ; de promouvoir l’enrichissement des aliments locaux du nourrisson avec des oligo-éléments en particulier en fer. Concrètement, renseigne Valerie Ngo Mbeng, Category Development Manager à Nestlé Cameroun, un enfant mis sous ce régime en six mois triple son poids ; multiplie par 1,5 sa taille de naissance. L’expert rappelle que les 5 premières années sont déterminantes pour le développement du cerveau d’un enfant. Dans ces conditions, que l’Unicef dénomme « fenêtre d’opportunité des 1000 jours », l’enfant, a besoin de 5 fois plus de fer que l’adulte.

Nadège Christelle BOWA

 

Interview

Pr. Tetanye Ekoe

Pr Tetanye.jpg« C’est la responsabilité du gouvernement de renforcer l’alimentation des enfants »

 

Doyen de la Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales à l’Université de Yaoundé I et chercheur principal d’une étude l’état nutritionnel des nourrissons camerounais, le pédiatre explique la faisabilité de ses recommandations.

 

Quels sont les facteurs qui contribuent à la prévalence élevée de l’anémie telle que relevé par votre étude.

La première chose qu’il faut reconnaître c’est que le paludisme a une grande part dans cette anémie. Mais c qui est absolument nette c’est l’aliment de l’enfant est pauvre en fer. Et il est probable que l’enfant ne trouve pas les besoins nutritionnels en fer dans l’alimentation qu’il trouve dans la famille. Donc il y a là un problème qui interpelle évidemment le gouvernement ou le ministère de la Santé qui fait déjà beaucoup de choses. Mais il y a très probablement quelque chose qu’il faut renforcer en termes d’éducation des parents. Il est très probable que les parents n’insistent pas sur le recours aux aliments riches en fer (les légumes et un certain nombre de céréales). Et il y’en a beaucoup dans notre pays. Je crois que ce serait bien que les programmes de santé ailleurs vraiment sur le terrain ; que les personnels de santé prennent soin d’aller vraiment éduquer les parents sur l’usage de leurs aliments surtout ceux qui sont riches. Je crois qu’il faudrait faire un effort supplémentaire pour que lorsque dans les zones très défavorisées comme nous l’avons dans l’Extrême-Nord et dans la forêt humide (Est-Cameroun), le gouvernement puisse assister et fournir à ces familles, une espèce de paquet qui assure un minimum de besoin nutritionnel en terme de protéine, de fer et de céréale.

Comment s’est déroulée cette étude ?

C’est une étude compliquée qui a durée six mois. Nous avons été sur le terrain avec mes étudiants qui ont fait dans chacune des zones écologiques, une thèse de doctorat en médecine, je dirais contextualisé. Nous avons interrogé les parents, examiné les enfants à qui nous avons pris le poids, la taille, le périmètre brachial et nous avons fait des prélèvements de sang- de très petites quantités- mais qui nous ont permis de mesurer le taux d’hémoglobine et les indicateurs du fer dans l’organisme. C’est une étude qui va faire d’ailleurs l’objet d’un rapport remis au ministre de la Santé publique et à celui de la Recherche scientifique et de l’innovation, et qui devrait compléter des études antérieures centrées sur les villes. Nous avons ciblé les zones rurales, par conséquent, compte tenu du fait que les zones rurales représentent 70% de la population, ça devrait changer l’approche en termes de santé publique.

Peut-on adapter le fer à tout type de céréale en fonction de la disponibilité de l’aliment dans une région ou zone écologique ?

Absolument et c’est un défi pour le gouvernement. Il y a des zones dans lesquelles la céréale c’est le sorgho ou le mil ou le maïs. Il y a des zones où c’est autres chose. Il est même d’ailleurs possible d’imaginer que le manioc qui est utilisé dans d’autres zones puisse être renforcé. C’est la responsabilité du gouvernement de rechercher le partenariat avec des organismes technologiquement outillés pour permettre de faire en sorte que les céréales, les féculents soient utilisés pour renforcer l’alimentation des enfants de moins de cinq ans. On ne peut pas imaginer que les enfants de moins de 5 ans deviennent des adultes performants demain, avec un état nutritionnel aussi précaire, avec des taux d’anémie aussi préoccupant.

Propos recueillis par

Nadège Christelle BOWA

Source Le Messager N°4950 du vendredi 10 novembre 2017