18/07/2016

CAMEROUN: LE CHEMIN DE CROIX DES ADOLESCENTES

Regards

Les tristes destins des adolescentes au Cameroun

Elles constituent près de 23% de la population estimée à environ 22 millions d’habitants. Mariages forcées, sexualité et grossesses précoces, analphabétisme sont autant de maux qui ruinent l’adolescente camerounaise. Au Cameroun, près de 25% des décès maternels surviennent chez les adolescentes de 15-19 ans. Soit, quatre décès sur 20 par jour !

 

massage des seins.jpg      1- Avenir obscur 

Sortie de l’école par sa famille, Fadimatou mariée de force à 13 ans, devient mère à 14 ans. Comme si cela ne suffit pas, cette fille –ni enfant ni adulte est régulièrement battue par son mari. Comme de nombreuses autres adolescentes, Fadimatou est entrée dans une vie d’adulte sans préparation. « Elle aurait pu terminer ses études, elle aurait pu commencer à exercer un métier, elle aurait pu devenir député ou bien un ministre, ou bien la future Secrétaire Général des Nations Unies, hélas ! », soupire Barbara Sow, Représentante du Fonds des Nations Unies pour la Population (Unfpa), par ailleurs auteur de cette histoire qui montre le destin tragique de nombreuses adolescentes dont « l’avenir est obscur » à cause de l’obscurantisme des parents.

Selon les projections du Bureau central des recensements et des études sur la population (Bucrep) pour 2015, sur une population totale estimé à peu près 22 millions, les adolescents constituent plus de 5 millions. Soit environ 23%. Sur le plan national et selon le dernier MICs (enquête à indicateurs multiples) en 2014, 68% de filles adolescentes sont analphabètes, et dans la région de l’Adamaoua qui a abrité la 30e édition de la journée mondiale de la Population,  c’est estimé à 47%. C’est dire que moins d’une fille sur deux peut lire. En ce qui concerne le mariage, 20% d’adolescentes de 15-19 ans au Cameroun sont actuellement mariées ; et l’Adamaoua est la région la plus touchée par ce phénomène de mariage précoce avec 39% d’adolescentes déjà mariées. Sur le plan national, une fille sur quatre est déjà mère avant l’âge de 18 ans. Soit avant que ses organes n’aient atteint la maturité pour une grossesse sans risque. Dans l’Adamaoua, ce pourcentage est de 39%. « Il va de soi que ces grossesses précoces constituent un frein pour l’éducation, l’épanouissement et l’avenir de ces adolescentes », constate Barbara Sow pour le déplorer.

2- Des drames évitables

Car, poursuit-elle : « Malheureusement, ces grossesses précoces s’accompagnent aussi très souvent des complications pouvant entrainer des fistules obstétricales ou aller jusqu’au décès de l’adolescente ». En effet, au Cameroun, près de 25% des décès maternels surviennent chez les adolescentes de 15-19 ans. Ce qui est énorme et signifie que sur les 7 000 femmes qui meurent chaque année, ou 20 par jour, presque 4 de ces décès sont les adolescentes, par jour ! Sur un tout autre plan, pas moins sinistre, bien que 50% des adolescentes de 15-19 ans ont déjà eu des relations sexuelles, seulement 12% de ces filles utilisent une méthode contraceptive moderne. Cette faible prévalence contraceptive se traduit trop souvent par des grossesses non désirées qui conduisent à des avortements clandestins et risqués chez les jeunes filles.

Pour ce qui est du Vih/Sida, les jeunes filles sont particulièrement vulnérables. Chez celles-ci, la prévalence est 5 fois plus élevée que chez les jeunes garçons de la même tranche d’âge. Autres statistiques difficiles à admettre pourtant vrai :

48% des jeunes filles de 15-17ans ont déjà subi au moins une fois des violences physiques ou sexuelles, qui inclut 30% des filles qui ont été forcées lors de leur première relation sexuelle.

Ces drames peuvent être évités. Où qu’elle soit née, chaque adolescente devrait avoir une chance d’atteindre son potentiel. […quand les filles sont libres de définir leur vie et jouir de leurs droits, elles jouissent non seulement d’une meilleure santé ainsi que leurs enfants; mais elles sont aussi mieux à même de contribuer au développement national en tant qu'acteurs économiques et entrepreneurs, et aider leur pays à recueillir le dividende démographique et la croissance économique », souligne à ce propos, Dr Babatunde Osotimehin, Directeur Exécutif de l’Unfpa. Et d’ajouter : « Nous devons frayer le chemin aux adolescentes pour qu’elles instaurent le progrès, la paix et la prospérité dans leurs communautés ».Voilà qui interpelle chacun et tous au premier rang duquel, le gouvernement du Cameroun qui devrait investir massivement en faveur des adolescentes, « c'est-à-dire investir dans leur santé, leur éducation, leur emploi et renforcer la lutte contre les pratiques néfastes à leur épanouissement ». Ces investissements, rassure Barbara Sow, sont parmi les dépenses de développement les plus rentables et efficaces pour réduire la pauvreté. Selon la Banque Mondiale, « investir dans les filles adolescentes est le moyen le plus efficace de rompre la transmission intergénérationnelle de la pauvreté : le plus souvent les filles adolescentes mères donnent vie aux enfants pauvres et c’est un cycle vicieux de pauvreté et de misère qui peut et doit être arrêter ».

3- « Leave No One Behind »

D’après le rapport 2011 de l’Unicef, les investissements énormes dans la survie des enfants de 0 à 5 ans sont perdus quand ces enfants entrent dans l’adolescence et sont « délaissés ». Ainsi, investir dans l’adolescence est nécessaire pour consolider l’investissement fait dans l’enfance. Investir dans la jeune fille c’est donc investir dans l’avenir de la nation.  Un rapport de la Banque Mondiale, indique qu’une augmentation d'1% de l'instruction des filles augmente le Produit Intérieur Brut moyen de 0,3%. Comme l'a relevé le Pr Amadou Adama de l'université de Ngaoundéré lors d’une table ronde sur le dividende démographique : « maintenir une fille à l'école ne l'empêche pas d'être une bonne épouse et mère de famille ». Au moment où la communauté internationale vise l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (Odd) pour arriver en 2035 à l’Emergence, il est important de reconnaître, mieux valoriser l’apport de la jeunesse et des adolescents dans cette vision. Aussi, il ne faut laisser personne derrière en Anglais, « Leave No One Behind ». Pour l’Unfpa, le développement dépend de la capacité qu’on aura de construire un Cameroun où les filles ont autant d'opportunités que les garçons pour construire un meilleur avenir.

Selon les Nations Unies, l’adolescence est la période de la vie allant de 10 à 19 ans. En tant que période de transition entre l’enfance et l’âge adulte, c’est le moment où l’individu devient de plus en plus seul face à ses défis, et donc souvent plus vulnérable. Les inégalités de genre deviennent souvent plus manifestes au cours de cette période d’adolescence car les filles sont confrontées à certains défis et obstacles qui n’existent pas pour les garçons. Les adolescentes ont moins de chance de suivre un enseignement secondaire et sont davantage exposées aux pratiques abusives telles que le mariage et la sexualité précoces, voir forcés, la violence sexuelle et physique et aussi le travail domestique de pire forme.

Nadège Christelle BOWA

sources: Le Messager N°4618 du lundi 18 juillet 2016