14/05/2017

« LA SAGE-FEMME EST UN GRAND CARREFOUR DE PÉDIATRIE »

ENTRETIEN AVEC ANNIE HORTENSE ATCHOUMI

On ne peut pas se passer des Sages-femmes si on veut réduire la mortalité maternelle

Contribuer à donner la vie ! C’est l’un des plus beaux métiers au monde. Bien que très importante, la profession qui au demeurant comporte de multiples facettes est encore trop méconnue du grand public. Depuis une quinzaine d’années, une journée internationale leur est dédiée. Célébrée tous les 5 mai, c’est une occasion de découvrir ce métier de « donneuse de vie ». En ouvrant ses colonnes à la présidente nationale de l’Association des sages femmes et assimilées du Cameroun (Asfac) et en Afrique Centrale, une association créée en 2008 pour valoriser la profession et renforcer les capacités de ces membres pour une prise en charge adéquate des communautés, Le Messager à sa manière rend hommage aux femmes (et aux hommes !) qui le pratiquent et montre leur importance au sein de la société. Annie Hortense Atchoumi s’exprime sur les conditions d’exercice de cette profession dans le contexte camerounais où le besoin de cette compétence est criard.

NCB

 

Annie Hortense Atchoumi 

Annie Atchou_1890.jpg« La Sage-femme est un grand carrefour de pédiatrie »

 

Le Cameroun de concert avec la communauté internationale célèbre ce 5 mai, la journée internationale de la Sage-femme sous le thème : «Les sages-femmes, mères et familles: partenaires pour la vie!». Que suscitent en vous cette célébration et ce thème?

Cette journée permet aux sages-femmes de s’exprimer à leur façon chacun dans son pays. Et le thème choisi signifie que la vie ne s’arrête pas. Les naissances continuent toujours, les familles ne s’arrêteront pas. Les sages femmes contribueront toujours à donner des naissances. Il y aura toujours le suivi des femmes enceintes… Donc à notre avis, c’est un sujet vraiment actuel pour interpeller la sage femme dans son rôle qu’elle a d’ailleurs commencé depuis longtemps parce que la vie commence avec la naissance. Maintenant, elle a un grand rôle dans le suivi de la femme depuis son éducation à la vie, à la prise en charge de sa grossesse, jusqu’à l’accouchement et même après puisqu’il y a le planning familial.

Méconnue du grand public, la profession de Sage-femme comporte de multiples facettes. Pour permettre de les dévoiler, dites-nous quelles sont les compétences de la sage-femme ?

La sage-femme est un grand carrefour de pédiatrie. Elle agit sur le plan gynécologique, sur le plan néonatal, sur le plan obstétrical. Comme je l’ai dit, elle suit la femme depuis les consultations prénatales jusqu’à l’accouchement et même après. Et en plus de la femme dans sa grossesse, elle s’occupe des nouveaux nés (de la néonatalogie). En plus de cela, elle s’occupe aussi de l’accompagnement des familles. Elle suit les couples, elle prescrit et s’occupe de la communauté sur le plan conseil de vie familiale, conseil de conception, prévention de certains risques, etc. La femme a besoin aussi qu’on l’écoute. Mais aussi de savoir comment se rapprocher du prestataire en l’occurrence ici la sage-femme. En prélude à cette célébration, nous avons organisé du 27 au 29 avril des journées scientifiques à Bertoua. Nous saisissons cette occasion pour remercier les autorités de cette ville qui nous ont suivis. A savoir le délégué régional de la Santé, le gouverneur de la région… tout le staff était vraiment présent.

Puisque vous en parler. Quels étaient les objectifs de ces journées scientifiques ?

Il s’agissait de dire aux sages-femmes et même à la communauté que cette dernière est au cœur du métier de la sage femme. Et pour qu’une sage femme soit compétente, il faut qu’elle soit formée. D’où la raison d’être de ces journées scientifiques pour pouvoir s’exprimer sur ce plan à travers le thème : « La sage femme et la participation communautaire pour une maternité à moindre risque ». Pour dire que nous avons besoin de la communauté qui elle a besoin de soins. La communauté a besoin qu’on s’occupe d’elle, qu’on la comprenne. Et même qu’on se comprenne car il y a parfois un fossé entre la communauté et les prestataires. On ne sait pas ce que l’autre fait, l’autre a besoin de s’orienter. Chacun a besoin de l’autre, c’est une famille, c’est un bon mariage…pour qu’il y ait une bonne compréhension et une meilleure prise en charge.

A quel niveau peut-on vous situer dans le système de soins au Cameroun ?

On est un peu partout. Que ce soit dans les hôpitaux régionaux, de district ou centre médical d’arrondissement ou centre de santé intégré. Seulement, plus on est proche de la communauté, notre rôle est plus grand. Parce qu’à ce niveau, on a très peu de prestataires. Parfois, vous êtes seule à être au four et au moulin.

Quand vous déroulez les compétences de la sage-femme, on y voit un peu aussi celles des gynécologues beaucoup plus présents dans les formations sanitaires.  Quelle est la différence entre votre profession et la gynécologie si différence il y a?

Le gynécologue et la sage-femme, c’est une continuité, une complémentarité. Et au Cameroun, on n’a pas eu cette profession pendant longtemps et même ceux qui étaient formés dans le domaine de la sage-femme étaient peu nombreux pour dire, insignifiant en nombre. Par contre même s’ils ne sont pas nombreux, les gynécologues sont existants. De l’autre côté, la sage-femme n’a pas encore été véritablement intégrée sur le plan professionnel. D’où le fait que vous ne pouvez même pas la voir dans les formations sanitaires. Si oui, quelques unes. Mais en termes de ratio sage-femme/population, elle est presque invisible parce que sur le plan sécurité professionnelle, jusqu’à présent elle n’est pas encore visiblement intégrée dans la fonction publique. A cause de  l’absence de ce corps mais qui est un processus en cours. Mais comme je dis, les deux sont inséparables dans la mesure où il y a des actes obstétricaux que les gynécologues comme la sage femme posent ensemble à l’instar des accouchements. Mais, les sages-femmes ne feront pas les césariennes. Malgré que certaines s’y connaissent, ce n’est pas son rôle premier. La césarienne est plus pour le gynécologue. Mais où le gynécologue ne peut pas être au-dessus d’elle, c’est parce que la plupart des accouchements se font par voie basse. Sur 100 accouchements, 70 se feront par voie basse. Et ce n’est pas le gynécologue qui les fera. Donc, plus elle exerce, il y a l’expérience que le gynécologue ne peut pas avoir. Je me rappelle l’histoire de cette sage-femme qui faisait accoucher les femmes par voie basse alors que le gynécologue avait prescrit la césarienne. Parce qu’elle maîtrisait le bassin. Donc, si on veut réduire la mortalité maternelle, on ne peut pas se passer des Sages-femmes.

A ce propos, de nombreuses études vous désignent  vous « sage-femme » comme étant des acteurs essentiels dans la lutte contre la mortalité maternelle et infantile dans le monde et au Cameroun en particulier. Pourtant la sage-femme reste quasiment invisible dans les formations sanitaires. Quel est à votre avis le problème ?

Le problème principal dans notre contexte est qu’on a commencé la formation un peu sur le tard. Mais on peut se rattraper. Cela ne fait pas très longtemps que la formation de la Sage-femme a repris sur le terrain. Et ceux même qui exerçaient dans la compétence, ça fait environ 27 ans qu’ils ne sont plus formés. Vous voyez donc le fossé même de ces diplômés d’Etat Accoucheurs. D’un autre côté, quand la première promotion de ces sages-femmes sort, je crois que c’était au palais des Congrès à Yaoundé, en février 2015, on se rend compte qu’il n’y a pas de corps de sages-femmes à la Fonction publique. C’est pour cela qu’on n’a pas pu leur intituler un diplôme digne de sage-femme. Or quand les parents se peinent et vous-même aimez une profession que vous voulez exercer, à la fin vous avez des difficultés à être insérer, c’est une forme de démotivation. Pire encore dans un pays où on pense que la mortalité est élevée et on a besoin de prestataire. On se dit voilà, on avait besoin de prestataires, maintenant qu’ils sont disponibles, on ne peut pas les utiliser. On quitte de la quantité à la qualité qui va se détériorer. Sur le terrain, beaucoup vont abandonner. Quelques partenaires essaient de contractualiser certaines. Mais la question qu’on se pose est : jusqu’à quand ? Il faut bien commencer mais il faut que cela continue. Que va-t-il se passer si ces gens ne sont plus là ? Une profession aussi délicate. Pour sauver des vies et donner des vies, on a besoin d’un bon moral, d’une bonne sécurité professionnelle.

Justement, vous évoquez le cas des partenaires au développement et l’Unfpa qui en est dans une de ces recommandations au gouvernement, fait état de l’absence d’un corps des sages-femmes dans la fonction publique comme un des obstacles au recrutement de ces professionnels. Avez-vous d’autres suggestions pour pallier au déficit de sages-femmes dans les hôpitaux ?

A notre avis, le déficit est pour le moment. Comme on le disait, on est dans un processus de mise en place du corps. Ce ne sera pas tout de suite. Mais avant que cela ne se fasse, il faut bien que la sage-femme soit dans les formations sanitaires. Et comment ? L’une des solutions c’est justement cette fidélisation par les partenaires et cette contractualisation par le système. C’est-à-dire que les partenaires peuvent soutenir en recrutant un nombre selon leur limite financière pour les fidéliser sur le terrain et avoir un système de motivation. Peu importe le processus. Cela peut être entre le partenaire et le gouvernement ou directement avec la formation sanitaire… sinon elles vont perdre la main. En outre, si des gens travaillent et doivent encore se prendre totalement en charge, sans revenus, à un moment donné, on se transforme en autre chose sur le terrain et après les malades vont se plaindre. Mais parfois c’est parce que certaines dispositions ne sont pas prises et cela encourage ce qu’on ne souhaite pas.

Pour revenir à l’exercice même de la profession. Quelles sont vos principales difficultés dans la pratique de ce métier sous le ciel camerounais ?

Sur le terrain, il y a celles qui sont affectées dans des zones très reculées où il n’y a même pas de fréquentation, pas de matériel pour travailler. Pour un début dans une profession, c’est un problème. Supposons qu’en tant que personnel formé vous mettez le maximum pour amener les gens à l’hôpital et qu’il n’y ait pas de matériel, ce n’est pas vous seulement qui allez l’acheter. Je veux bien comprendre qu’on ait sa trousse. En outre, elles n’ont pas de salaires jusqu’aujourd’hui.

Réalisé par

Nadège Christelle BOWA

Sources: Le Messager N° 4822 du vendredi 12 mai 2017

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